[First §] En établissant les droits de l’Autre, l’Islam prescrit au musulman de respecter, dans son comportement, les adeptes des autres religions voire même ceux qui n’appartiennent à aucune religion en ayant pour emblème le verset coranique : « A vous votre religion et à moi la mienne » (Sourate Al Kāfirūn, les mécréants, V.6). Tout en respectant les particularités de l’Autre, ces relations doivent être basées sur la liberté de conscience et de l’exercice du culte d’une part et la bonne conduite à son égard d’autre part en vertu du verset coranique : « Nulle contrainte en matière de la religion » (Sourate al-Baqarah, la Vache, V.256). Notre objectif sera alors de nous poser la question : l’Islam reconnait-il le pluralisme ethnique et religieux ? Dans quelle perspective ? Et si oui comment le met-il en pratique tout en établissant les rapports entre ses adeptes et ceux des autres religions sur la bonté et l’équité qui devraient se manifester dans toutes les affaires de la vie de telle manière que musulmans et non musulmans deviennent des citoyens égaux en droits et en devoirs ?
La ḥalqa des ʿazzâba, fondée au début Vᵉ/XIᵉ siècle, était initialement une école d’ascèse et de transmission du savoir religieux. Elle évolua pour devenir, à partir du VIᵉ/XIIᵉ siècle, un organe associé à l’élaboration des lois régissant la vie dans la cité ibâdite nord-africaine. La création de cette institution religieuse constitue une evolution majeure de la pensée politique et théologique ibâḍite. Sur le plan politique, la ḥalqa entérine définitivement l’abandon de la notion d Etat par les ibâḍites, qui renoncent du coup à la diffusion de leur doctrine par la force. Aussi fait-elle apparaître au sein des populations berbères ibâḍites des communautés religieuses instituant par leur mode de vie une nette distinction entre la société civile et religieuse. Concernant le M′Zab, l’étude des délibérations élaborées par la ḥalqa et la djemaa, la nature des relations entre les deux institutions montrent que le pouvoir religieux ne domine pas et ne subordonne pas les textes de ces délibérations aux lois religieuses. Tout au contraire, c’est le droit “coutumier” berbère qui se voit consacré dans ces textes juridiques et se constitue comme principe organisateur de la cité mozabite. L’hypothèse d’un système théocratique, avancée par les auteurs de l’époque coloniale et reprise par de nombreux autres auteurs contemporains, s’inscrit donc dans une représentation de ce terrain biaisée par l’anticléricalisme dont l’influence s’est fait sentir en France au XIXᵉ siècle. L’apparition du mouvement des réformateurs au début XXᵉ siècle a profondément marqué l’histoire de cette institution et celle de l’ibâdisme contemporain; elle a fait naître des ḥalqas qui se veulent en rupture avec l’ordre traditionnel. Les ʿazzâba réformateurs ont ainsi investi en force le champ politique, remettant en cause le principe de la distinction entre les activités religieuses et non religieuses.